La Tourba des Beys (Turbet al-Bey) est la nécropole royale de la dynastie husseinite, qui a gouverné la Tunisie de 1705 à 1957. Elle a été édifiée par le quatrième souverain de cette dynastie, Ali Pacha Bey ben Hussein (1759-1782), connu pour ses nombreuses réalisations architecturales aussi bien à l'intérieur qu’en dehors de la vieille ville de Tunis. La Tourba des Beys est l’une des plus imposantes et des plus vastes tourbas de la médina de Tunis. Une madrasa (école coranique) connue sous le nom de la madrasa husseiniya lui a été rattachée. Elle est située sur la place Ben Salem, à la rue Tourbet el Bey, l’une des principales rues de la ville de Tunis, à proximité de la Petite madrasa Husseiniya et de Tourbet al-Fallari ou Tourbat al -Harim, érigées par son père, Hussein ben Ali al-Turki, fondateur de la dynastie husseinite. Les travaux de construction ont commencé vers l'année 1770 (1184 H) sous la supervision du Cheikh (maire) de Tunis, "Qasim al-Rassaa'" et ont duré plusieurs années pour s’achever en en 1777 (1191 H).
La tourbet el-bey couvre environ 1 400 mètres carrés et comprend huit salles surmontées de dômes de formes et de tailles diverses. L'ensemble de ses unités architecturales s'organise autour de deux cours à ciel ouvert. Le nombre de tombes dépasse cent soixante-cinq, dont 14 tombes de beys ayant effectivement régné sur le pays à partir du règne d'Ali Bey II (1759-1782) jusqu’en 1942. A l’exception de deux souverains à savoir Moncef Bey et Muhammad al- Amin Bey - le dernier bey de la dynastie. Elle abrite également les dépouilles de princes et de princesses et de leur progéniture, et même celles de quelques mamelouks et ministres et fonctionnaires de l'État favoris et concubines, dont les tombes sont réparties dans les différentes pièces.
Les murs des façades extérieures de la tourba furent construits de pierres en grès ocre d’où se détachent des pilastres et des entablements en pierre claire, sculptés de motifs floraux, en bas-relief, de style italianisant. Ses parties supérieures et ses bases sont recouvertes de panneaux rectangulaires de Kadhel (travertin de Tunisie) portant des décorations végétales et géométriques sculptées. Son entrée principale, comprenant une Khoukha (arabe pour guichet i.e. petite porte pratiquée dans une plus grande), donne sur la rue Tourbet el-bey et s’ouvre directement sur un premier vestibule dont les murs sont recouverts de carreaux de céramique polychromes. Ce vestibule est percé d’une autre porte et constituerait très probablement l’entrée originale de la tourba. Les deux battants de la porte sont recouverts d’une épaisse plaque de cuivre et son arc outrepassé est entouré d’un encadrement en marbre noir et blanc. Cette entrée nous mène à une deuxième driba, puis à une cour centrale pavée de marbre. Cette dernière est entourée de portiques soutenus par des colonnes de marbre surmontées de chapiteaux doriques. L’on y trouve dix tombes de mamelouks, ministres et fonctionnaires de l'État favoris tels que le ministre Suleiman Kahiya et le mamelouk Khair al-Din Kahiya. Trois chambres funéraires sont réparties autour de ce patio ouvert.
La salle consacrée aux sépultures des beys ayant régné est la plus remarquable et la plus vaste. Elle se distingue par son aménagement et par sa décoration qui s’inspire de la mosquée du Sultan Ahmed à Istanbul. De plan carré, mesurant 15 mètres de côté, elle est coiffée d'un dôme central recouvert à l'extérieur de tuiles vertes vernissées. Quatre grands piliers cruciformes soutiennent une vaste coupole centrale légèrement bulbeuse, qui est épaulée par quatre demi-coupoles en guise de contre-bitée sur les côtés et quatre coupolettes aux angles. Les parties hautes des murs de la salle sont entièrement enduites de stuc à motifs géométriques et végétaux, tels que les cyprès et les vases, ainsi que de frises épigraphiques inspirées des traditions orientales ottomanes,
entrecoupées de claustras en verre polychrome. La blancheur des dômes contraste avec les murs latéraux de la salle et ses piliers, qui sont tous recouverts de marbre importé, de différentes couleurs (jaune, rouge-brique, noir, blanc). Ces panneaux sont décorés de vases d'où jaillissent des branches feuillagées entrelacées, surmontées d'étoiles et de croissants, tenus par deux oiseaux, le tout exécuté sous forme de marqueterie de marbre exécutée par les sculpteurs italiens les plus habiles.
La grande salle funéraire est consacrée aux sépultures des treize beys husseinites ayant régné. En est exclu, Muhammad al-Hadi Bey (1902-1906), qui fut inhumé dans une salle adjacente. Elle abrite aussi les tombes de trois princes de la dynastie husseinite et de trois enfants, en plus d’un catafalque en bois sculpté et peint surmontant la tombe du saint homme Sidi Hasan al-Sharif, décédé en 1191 (1777H). Creusées dans le sol, toutes les tombes sont recouvertes de coffres de marbre abondamment ornés de motifs géométriques et végétaux en bas-reliefs au-dessus desquels se dressent des colonnes prismatiques, gravées d’épitaphes en écriture thuluth, portant le nom du défunt, la date de son décès et des versets du Coran et surmontées d’un couvre-chef, symbolisant le sexe masculin du défunt. Toutes les tombes sont recouvertes d’un tissu de velours brodé de fils d'argent et d'or. A proximité se dressent des bannières en soie brodées de versets du Coran et ou des vers de la Burdah (ode d'éloge du XIIIe siècle pour le prophète Muhammad) .
En vis-à-vis, se dresse la salle des tombes des princesses de la dynastie husseinite. Il s’agit d’une salle rectangulaire (10 m x 5,30 m), précédée d'une entrée surmontée d'un encadrement proéminent sculpté en marbre et entourée de deux fenêtres. Elle est coiffée d'une grande coupole, reposant sur quatre arcs, et dont le tambour est percé de claustras en verre polychrome. Ses murs sont tapissés de carreaux de céramique polychromes à reflet métallique, dont un certain nombre est importé d'Italie, alors que d'autres sont de fabrication locale (par les artisans potiers ateliers de Qallaline à Tunis). Les parties supérieures et le dôme central, quant à eux, sont ornementés de motifs géométriques, floraux et épigraphiques en naqsh hdida (sculpture sur plâtre) d’une extrême finesse, d’influences ottomanes. Cette salle abrite quatorze tombes consacrées aux épouses, princesses et concubines de la Maison husseinite, parmi lesquelles la princesse Jannat, fille d'Ali Bey, fondateur de la Tourba, qui fut la première femme à y être inhumée et ce en l’an 1777 (1191 H) aux côtés de ses sœurs Turkiya décédée en 1778 (1192 H) et Aisha en 1782 (1196 H). Toutes les tombes ont été sculptées dans du marbre blanc orné et des épitaphes ont été érigées au-dessus d'elles portant des inscriptions funéraires en caractères coufiques.
Les deux salles dédiées aux souverains ayant régné (beys du trône) et aux princesses, ainsi que le patio à ciel ouvert constituent le premier noyau du mausolée créé par Ali Bey, le fondateur de la tourbah au cours des années soixante-dix du XVIIIe siècle.
La Salle des Princesses susmentionnée s'ouvre directement sur une troisième salle de forme carrée, de 7 m de côté, très similaire à la précédente en termes de conception et de décoration. Couverte d'un dôme central, cette salle a été ajoutée au cours du règne de Mahmoud Bey (1814-1824) et a été à son tour consacrée au harem de la Maison husseinite. Elle abrite 16 tombes, dont la tombe de la princesse Fatima Bayah, la petite-fille d'Osman Dey et l'épouse de Hussein Bey II (1824-1835), décédée en 1827 (1242 H). Elle abrite également les tombes de concubines et de servantes de la Maison husseinite.
La Tourbet el-bey a fait l’objet de travaux d’extension successifs et de multiples ajouts, afin de fournir l'espace nécessaire au nombre croissant des tombes. Ainsi, une quatrième salle a été ajoutée pendant le règne d'Ahmed Pacha Bey (1837-1855), au côté sud du patio central, conçue sur le même modèle que les salles précédentes. Elle abrite les restes de vingt princesses husseinites,
dont la mère du maréchal Ahmed Pacha Bey (1835-1855) "Lalla Jannat", qui y fut inhumée en 1846 (1263 H). La cinquième salle est située au côté sud-est de la tourba, et a été ajoutée au début du règne de Muhammad al-Sadiq Bey (1859-1882). Elle se distingue par son dôme ovale dépourvu de décoration. Elle abrite quinze tombes dont la plus ancienne est celle de Khadija, fille d'Ismail Kahiya (Mamlouk géorgien de Hammouda Pacha), décédée en 1861(1278H). On y trouve également la tombe de la princesse Zuleikha Beyah, fille de Hussein Bey II et épouse d'Ali Pacha Bey (1882-1902), décédée en 1883.
Le reste des salles a été ajouté à partir des années soixante du 19e s. autour du deuxième patio secondaire de la tourba, qui abrite les tombes d’un certain nombre de ministres et mamlouks, dont la tombe du Grand Vizir Mustapha Khaznadar. La sixième salle qui mesure 17,80 x 4,60 m) a été érigée du côté sud. Ses murs sont tapissés de carreaux de céramique polychrome et elle est coiffée d’un dôme ovale orné de plâtre sculpté.
Cette salle a fait l’objet d’un agrandissement vers le sud pendant le règne de Muhammad Al-Nasir Bey (1906-1922), plus précisément en 1918, quand une autre salle lui a été adjointe au détriment de deux boutiques adjacentes et d'un local de stockage, dont la superficie est de 62 mètres carrés. Ces propriétés ont été acquises par compensation sous l’égide de l'Association des Awqaf.
Cette salle abrite le plus grand nombre de tombes, (28 au total), dont celles des princes de la famille husseinite et des beys héritiers présomptifs, dont la plus ancienne est celle de Muhammad Al-Ma’moun Bey, décédé en 1861 (1278 H). Elle abrite également les tombes de certains Grands Vizirs, tels que les Grands Vizirs Muhammad Al-Aziz Bou Attour (1906) et Muhammad al-Jallouli (1908).
La septième salle occupe le côté sud-est de la cour secondaire. Elle est de forme rectangulaire (12,25 m x 7,25 m), ses murs sont lambris de carreaux de céramique polychromes, et est coiffée d'un immense dôme ovale. Elle a été ajoutée durant le règne de Mohamed al-Sadoq bey, qui l’avait consacré aux femmes de la Maison husseinite. C’est ainsi que sa sœur la princesse Kabboura décédée en 1868 (1285H) y fut inhumée. Elle abrite également la tombe du Bey régnant Muhammad Al-Hadi Bey, décédé le 12 mai 1906, qui n’a pas été inhumé dans la Salle des Beys régnants, mais dans une aile à part aux côtés des tombes de ses trois filles : Traki, Zubaydah, Aisha, ainsi que trois princesses husseinites. Cette aile est isolée grâce à un paravent en bois ajouré et peint surmonté par les armoiries de la dynastie husseinite, fabriqué par Omar ben Mahmoud al-Ajul en en 1906 (1324 H). Quant au reste des douze tombes, elles sont réparties de manière ordonnée dans toute la salle.
Au cours du dernier quart du XIXe siècle, la huitième salle funéraire a été ajoutée à l'angle sud-est de la turbah. Il s’agit d’une salle de forme rectangulaire surmontée d'un dôme de forme ovale sans décoration. Elle est percée de plusieurs fenêtres qui s’ouvrent sur la rue et abrite 19 tombes, toutes consacrées aux femmes de la Maison husseinite et dont certaines sont anonymes. La première princesse à y être inhumée est la princesse Aïcha, fille de Hussein Bey II, décédée en 1887 (1305H), et la dernière d'entre elles était la princesse Hallouma, fille de Muhammad Al-Habib Bey décédée en 1947(1366 H).
Divers matériaux de construction locaux ou de provenance étrangère, importés spécialement, ont été utilisés pour construire et décorer la tourba des beys. C’est ainsi que de la pierre en grès ocre ramenée des environs de Ghar el-Melh, et de la pierre Khathel et du plâtre furent utilisés pour agrémenter les coupoles et les parties supérieures des murs ; Des carreaux de céramique polychrome vernissés importés d’Italie, en plus de carreaux fabriqués localement dans les ateliers de Qallaline, ont été utilisés à profusion comme revêtement des murs et des sols. Des matériaux
importés d’Europe, tels que du marbre de Carrare, du porphyre polychrome ont servi à la fabrication des encadrements des portes et des fenêtres, alors que des bois nobles importés de Venise et de Tortosa ont servi à fabriquer les portes. Les sols sont revêtus de marbre blanc, alors que les serrures des portes et les grilles des fenêtres des sont en fer ou en cuivre.
Son fondateur Ali Bey puis les différents beys husseinites ont institué d’importants waqfs (dotations) au profit de la tourba, aussi bien à l'intérieur qu’à l'extérieur de la médina de Tunis, dont les revenus sont utilisés pour faire face aux besoins de la tourbah, telles que la restauration, les réparations et l'éclairage. Une autre partie de ces revenus était consacrée au paiement des salaires de ceux qui en ont la charge.
Grâce à son architecture unique et ses décorations exquises reflétant une fusion de divers courants artistiques et architecturaux locaux et étrangers, la tourbet el-bey reste à ce jour l'un des édifices funéraires et l’un des monuments historiques les plus précieux de la ville de Tunis.